samedi 22 août 2015

Les camionneuses, Boltanski et Lydie

Politiquement incorrect ? Non. Les "lesbiennes-mecs", les Butch comme on dit, sont parfois pires que les "vrais" mecs, y compris envers les femmes. Certains couples semblent parfois une caricature, et on se demande à quoi bon être lesbienne si c'est pour "aboutir" à "ça". Un (petit) coup de gueule suite à une minime aventure, mais avec beaucoup de "précédents" dans le passé dans certains groupes de femmes où les lesbiennes tenaient le haut du pavé. Difficile de taxer de macho... une femme ; de raciste anti-noir, un noir et de snob imbécile une fille de cantonnier immigré, et cependant.



Certaines l"camioneuses" copient parfois, intellectuellement et/ou physiquement, avec ferveur et excès, les comportements des mecs.. que ceux-ci désormais n'osent plus adopter! elles sont comme décalées. Violence verbale ou physique, histrionisme, postures et réflexions provocatrices (note, mais comme chez les mecs archaïques, cette violence peut s'associer à une remarquable soumission à l'ordre établi, au patron, au chef, au MÂLE DOMINANT) ... si bien qu'elles "sexisent" (au sens de raciser) les autres femmes.. sans que souvent celles-ci n'osent réagir, du moins comme elles le feraient s'il s'agissait d'un mec.

C'est le même phénomène qui fonde les nouveaux riches à singer en les accentuant les comportements des bourgeois .. auxquels ceux-ci ont renoncé.. (ce qui paradoxalement les fait distinguer des "vrais" et les déclasse) : arrogance, histrionisme, vanité, esbrouffe etc.. (Voir Adèle dans "le syndrome de Stockholm");
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De même les "nègres-blancs" dont parle Fanon "Peau noire, masque blanc") qui, se croyant sortis du marigot, (et on le leur fait croire) racisent leurs frères avec plus de cruauté que les "vrais" blancs (qui les racisent aussi, plus discrètement). Diviser pour régner : le racisme revêt donc plusieurs aspects, parfois étonnants.

Le phénomène, du coté de la classe ouvrière est magistralement analysé par Luc Boltanski dans "Prime éducation et morale de classe" : s'appuyant sur les vieux livres scolaires de "morale" et surtout sur l'un d'eux, le plus connu, il rapporte la mise en scène exemplaire de deux antagonistes : d'un coté, le "bon" ouvrier apprécié par tous (et par son patron en particulier), qui bosse dur, qui est honnête et ne boit pas... et surtout sa femme, qui tient parfaitement le ménage et les enfants ; le levier ici s'appuie sur l'hygiène, la médecine et la puériculture, prétextes à l'oppression du peuple, c'est à dire à lui inculquer la honte de lui- même (et des "siens"), de son mode de vie, de sa pauvreté (difficile de tenir propre un logis, de donner un bain tous les jours aux enfants, de laver leurs draps à chaque régurgitation sans eau courante.. et d'éviter la promiscuité lorsqu'on vit dans trois pièces et sans WC*). Cette honte, endossée dans le livre par le "mauvais" ouvrier, (et surtout sa femme) qui picole, dont le logis est un taudis, la cuisine infecte, les enfants sales et mal élevés, ne réussissant pas à l'école etc..  cette honte est plus efficace pour tenir les pauvres que la force brute : ils se tiennent tout seuls. Le paradoxe étant que les femmes du peuple (les "bonnes", sur le modèle figurée par "Madame Gardette", tôt levée, trimant du matin au soir) souvent, parvenaient à tenir le rang, mais à quel prix ** et agonissaient les autres de leur mépris. Idem pour leurs enfants, fiers de leur "rang".. De fait, les gamins de milieu populaire ouvriers ou paysans étaient souvent dans l'ensemble mieux tenus que les jeunes bourgeois citadins*** (!)
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Autre paradoxe : les recettes de la médecine que nous appellerons "populaire", (au sujet de la puériculture) étaient discréditées au profit de la médicamentation dite "moderne".. au moment même où les bourgeoises mieux informées les retrouvaient avec profit, à l' exemple de l'allaitement, dénigré, parfois ridiculisé, y compris par les médecins, au nom du "modernisme" voire du confort des mères (archaïque, aléatoire, bestial, voire obscène) .. abandonné à un moment par les bourgeoises... mais pas les femmes du peuple (qui n'étaient pas à la " page" et/ou ne pouvaient faire autrement financièrement d'où leur honte d'être de mauvaises mères) mais qu'elles abandonnèrent elles aussi une ou deux générations après... au moment où les bourgeoises, conscientes de sa valeur irremplaçable, elles, l'avaient repris.. (1) On a une médecine de peuple et une médecine de bourgeois décalées de 30 à 50 ans, dans les deux sens car les recettes de "bonne femmes" de puériculture étaient souvent des recettes médicales de la génération précédente, ensuite décriées par les médecins mêmes qui les avaient prescrites avec profit autrefois. Le principe était seulement de mettre la classe ouvrière, par le biais des femmes et de l'hygiène, dans la situation permanente de honte et de dépendance, et de susciter parmi elles des "coins", des kapos (Madame Gardette) : diviser pour régner. Tout comme les nègres-blancs, les femmes-machos et les nouveaux riches (ou plus exactement anciens pauvres) qui servent de levier pour écraser les noirs, les femmes, les pauvres c'est à dire les " leurs" => Il est plus difficile de taxer une femme, de machisme (!) ; un noir, de racisme anti-noir..  (!) ; et la fille d'un cantonnier, de snobisme crétin..  qu'un homme, un blanc, une bourgeoise.

La riposte est prévisible :  homophobie, racisme, arrogance d'universitaire nantie, il n'empêche qu'il faut le faire. Politiquement incorrect ? Non.

(1) Voir "Nestlé contre les bébés". http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/01/nestle-contre-les-bebes.html
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La honte, exemple personnel qui explique ma fascination pour le texte de Boltanski

Même le savoir-faire pratique souvent remarquable de la classe ouvrière ou paysanne est parfois dévalorisé au point d'être oublié. Ma mère, venue chez moi (c'était ma période baba cool) me surprit un jour en refusant de m'aider à faire du feu car elle ne savait pas (?) (je ne parvenais pas à allumer la cuisinière qui fumait partout)... puis, (lorsqu'une voisine paysanne venue en visite s'empara des bûches et du tison)... en lui donnant des conseils et finalement en les lui prenant des mains et en réussissant, elle "qui ne savait pas", à démarrer le feu presque du premier coup. En réalité, ELLE SAVAIT mais quelque chose en elle résistait à cet "aveu". Elle avait oublié savoir, elle était une bourgeoise. Elle avait honte de sa débrouillardise de prolote en quelque sorte.

De même, chez elle, c'était un casus belli de se laver les mains dans l'évier (vaste, à deux bacs et toujours vide). L'hygiène ! Et cependant, durant toute son enfance, ILS N'AVAIENT EU QU'UN SEUL POINT D'EAU. Était-ce une honte ? Sans doute. Et elle se défoulait ensuite, m'agonissant au sujet de ma "saleté". Je n'ai jamais osé lui dire : "l'étais-tu toi-même?"

Elle m'avoua avoir été mortifiée lorsque l'instit avait lu pour s'en moquer une de ses rédac (le sujet était 'décrivez votre chambre') dans laquelle, en toute naïveté, elle expliquait qu'elle était située au grenier où on montait par une échelle et qu'elle la partageait avec son petit frère. Evidemment, ça ne correspondait pas à "Mon petit Trott" qui habite dans le seizième, entre gouvernante et Maman au foyer, passe ses vacances à Deauville et à Cannes. DE LÀ SA HAINE DE LA LITTÉRATURE QUI PERDURA... et sa tolérance que je ne fusse pas très bonne en français. (En maths en revanche ça ne rigolait pas et je plains rétrospectivement ses élèves "littéraires"!) La honte donc dans ce cas exceptionnel joua à rebours : je dus me cacher pour lire Proust.. puis j'oubliai que je l'avais lu, tout comme elle avait oublié savoir démarrer une cuisinière récalcitrante. Elle ne me pardonna mes études de philosophie que lorsqu'elle comprit que la philo n'avait rien à voir avec la littérature... mais cette douée en maths le comprit assez vite. [Elle aurait préféré, soit que je n'en fasse pas, {j'ai dû m'inscrire en fac en cachette}, soit que je fasse maths évidemment.]
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* Annie Ernaux parle à ce sujet de sa honte (et de son refus sous divers prétextes) de recevoir ses camarades d'école parce qu'il n'y avait pas de WC chez elle (et que son père, nature, allait vider les seaux en commentant parfois publiquement la production de chacun.)
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** Voir le film "Le sel de la terre" dans lequel on voit des femmes de mineurs qui veulent en vain imposer à leurs maris d'obtenir l'eau courante.. puis au cours d'une grève, tiennent elles-mêmes les piquets (les hommes sont menacés de prison s'ils sortent) pendant qu'eux s'occupent de la maison et des enfants, courent au puits, s'embrouillent les pieds, hurlent de rage.. à la plus grande joie des gosses qui se moquent d'eux. (T'es pas doué Papa, Maman elle fait ça plus vite et sans gueuler.)
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*** Souvenir de Lydie, ma mère, instit en milieu minier, qui, nommée en classe maternelle à Dijon, ville bourgeoise, s'étonnant de la couleur des sous-vêtements des enfants, s'entendit répondre : "C'EST NORMAL, ON EST VENDREDI !" (les enfants étaient changés le samedi seulement !) 

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